Découverte à la réserve naturelle de Jaj d’un phénomène très rare!
Dans le cadre du projet « Conservation et valorisation du patrimoine botanique unique du Liban » financé par le CEPF, des explorations de terrains ont débuté au printemps 2019 à la réserve naturelle de Jaj menées par le Prof Magda Bou Dagher Kharrat et son équipe afin de réaliser l’inventaire de la biodiversité végétale en vue de sa conservation.
Le 6 juin 2019, une rencontre inattendue a eu lieu entre le Prof Kharrat et un petit être rosâtre qui fend le sol courageusement à l’ombre d’un vieux cèdre (photo 1 et 2).
Intriguée par sa couleur, la seule évidence que Pr. Magda pouvait avancer c’était la nature parasitaire de cette plante dépourvue de chlorophylle ; pourtant elle ne ressemblait à aucune plante parasitaire connue au Liban. L’enquête est ouverte!
Avec l’aide de Pierre Khoury, guide et gardien de la réserve, une petite barricade de pierres est installée autour de la plante pour lui éviter d’être piétinée malencontreusement et d’être facilement repérée pour le suivi quotidien.
Après deux jours de prospections et de fil en aiguille, le cercle se resserre : c’est une Orchidée !
Pierre a suivi la plante quotidiennement et envoyait des photos régulièrement à l’équipe scientifique. Notre orchidée appartient au genre Epipactis. Des analyses génétiques sont en cours au laboratoire de caractérisation génomique des plantes à la Faculté des sciences de l’USJ pour préciser l’espèce.
Il se trouve qu’à quelques pas de cette orchidée non chlorophyllienne, une autre orchidée aux feuilles vertes de la même espèce pousse normalement et se plait au soleil. Cette espèce serait donc capable de choisir son mode de nutrition en fonction de son emplacement ?
Affirmatif !
Cette stratégie s’appelle la « mixotrophie », mixo pour mixte et trophie pour nourriture (voir ci-dessous).
Cette population d’orchidées de Jaj comprend donc des individus photosynthétiques (verts) et non photosynthétiques (albinos) (photo 3).
Ces orchidées parasites sont plus précisément myco-hétérotrophes, c’est-à-dire qu’elles tirent leur nourriture d’un champignon qui à son tour est en relation « amicale » donnant – donnant, avec une plante verte (dans ce cas le cèdre du Liban).
Le cèdre procure le sucre au champignon, ce dernier aide les racines du cèdre à avoir accès à l’eau et aux ressources minérales et peuvent protéger les racines contre d’autres champignons nuisibles. Dans cette relation à 3 protagonistes, l’orchidée parasite la relation amicale cèdre - champignon.
La famille des Orchidaceae est l’une des plus diversifiées du règne végétal avec environ 25 000 espèces. Une des caractéristiques distinctives de cette famille est la production de nombreuses graines de taille minuscule dépourvues de nutriments (photo). Ces graines dépendent de leurs associations avec les champignons mycorhiziens (champignons qui se développent sur les racines) pour l’approvisionnement en glucides et autres nutriments jusqu’à ce qu’elles se développent en plantes photosynthétiques.
Cette faculté de se faire nourrir par un champignon (mycohétérotrophie) rend les orchidées particulièrement prédisposées à l'évolution vers la mycohétérotrophie tout au long de la vie, conservant ainsi leur statut achlorophylle tout au long de leur cycle de vie. En effet, la mycohétérotrophie totale est présente chez 1% des orchidées. C’est le cas du Limodorum abortivum au Liban présent à Ehden. Cette stratégie leur permet probablement de coloniser le sous-bois sombre de la forêt et d’occuper des niches moins accessibles aux plantes photosynthétiques.
La mixotrophie est très rare et sa découverte spectaculaire au Liban nous rappelle à quel point la nature est ingénieuse et que tous ces êtres vivants que nous méprisons souvent au profit de notre égoïsme démesuré pour tout coloniser et tout maitriser est le fruit de millions d’années d’évolution et d’adaptation qui ont encore tant à nous apprendre.